dimanche 8 mars 2020

Les larmes de Ragotin (partie 2)

Il ramassa une à une toutes les larmes, en remplit de nombreux seaux, croyant ainsi effacer la tristesse des filles de l’Océan, et les ramena chez lui. Il les jeta dans un grand feu et en fut soulagé. Une épaisse fumée noire et malodorante s’en échappa ; les sirènes devaient être bien malheureuses. Le lendemain, arrivé près des vagues, il eut un haut-le-cœur : à nouveau les sirènes avaient pleuré.



Ragotin reprit son seau et les ramassa toutes jusqu’à la dernière, il passa la journée courbé sur l’estran. A la nuit tombée, il rentra chez lui et à nouveau, brûla tout. Mais cette fois-ci, il ne se sentit pas apaisé. Comme il le craignait, le lendemain, tout était encore recouvert de larmes.



Et chaque jour, chaque matin que le soleil éclairait, la plage se parait de milliers de gouttelettes dures et salées. Chaque jour, chaque matin, Ragotin ramassait, ramenait et brûlait. Il y passa des journées, il y passa des mois, il y passa des années, il y passa sa vie. Il s’y épuisa.



Une dernière fois, très, très âgé, Ragotin partit dire adieu à sa plage, toujours maculée de larmes. Assise sur un tronc, la fée des fonds marins le salua et le remercia d’avoir consacré sa vie à l’Océan.



Le lutin lui demanda pourquoi les sirènes pleuraient tant, depuis tant d’années. La fée sourit tristement et lui répondit simplement que c’était à cause de l’homme qui salit la mer. Et Ragotin pleura.



Les larmes de sirène existent, malheureusement. Ce sont de petites perles translucides de plastique que l’on peut trouver sur le sable par milliers, mélangées aux algues et aux branches que la mer dépose sur la plage après une marée haute. Ces billes sont fabriquées par l’homme qui les utilise dans l’industrie du plastique où elles sont fondues pour créer des objets de tous les jours comme des bouteilles, des jouets ou des pochons pour les courses. Ces perles proviennent d’usines, de camions ou de bateaux qui les transportent, perdues par accident ou négligence dans les cours d’eau ou la mer. Très difficiles à ramasser de par leur petite taille, ces perles sont aussi terriblement toxiques pour les animaux du littoral. Ces derniers comme les oiseaux de mer ou les poissons les avalent et s’empoisonnent, pensant manger de petits organismes marins. 



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